L’Alliance Contre le Tabac vient de lancer une nouvelle campagne de pub qui cible l’industrie du tabac, certains messages et « chiffres » méritent un peu de mise en perspective.

Le Fonds Addictions géré par l’Assurance Maladie a dirigé depuis quelques années une grande partie des subventions vers quelques associations dont l’Alliance Contre le Tabac. Celle-ci et d’autres ont récemment changé leurs logos, refait leurs sites Internet et se « payent » les services d’agences de communication pour produire des contenus très « pro », des campagnes d’influence et de publicité. Je ne sais pas si c’est directement l’argent du Fonds Addictions qui finance tout ça et si oui, si c’est bien ça qui était prévu…

« L’industrie du tabac vous souhaite une mauvaise année 2023 »

C’est le teaser créé par l’agence de pub pour lancer une nouvelle campagne contre l’industrie du tabac. Je trouve ça très scolaire, avis personnel, je préfère ne pas savoir combien ils ont payé ça.

En tout cas, le ton est donné, c’est la ligne « politique » habituelle de l’Alliance Contre le Tabac, l’industrie du tabac, ce sont les méchants et c’est tout de leur faute. Il n’y a aucun autre responsable de l’incroyable taux de prévalence tabagique en France et qui a même augmenté les deux dernières années ? C’est un phénomène quasiment unique au monde. Encore plus incroyable aux temps de la révolution du vapotage.

Dont acte.

Voilà le lien de la campagne : https://alliancecontreletabac.org/2023/01/08/pouvoir-de-vivre/ (oups, je ne fais pas de lien, faudra faire un copier / coller pour aller voir).

Et on peut déjà voir des échos dans la presse, les agences RP font le job : Pouvoir d’achat : une campagne dénonce l’impact financier du tabac chez les plus modestes.

Le tabagisme appauvrit les fumeurs, en particulier les plus démunis

Alliance Contre le Tabac a complètement raison de le souligner, et donc, ils découvrent ? On est tous d’accord, c’est un fait, largement documenté par Santé Publique France, c’est injuste.

En résumé, si j’ai bien compris la campagne de communication, fumer ruine la santé, mais ruine aussi tout court. Pourquoi ? Parce qu’un paquet de cigarette coûte 10€ et en plus, le gouvernement a programmé de nouvelles augmentations pour atteindre progressivement 11€. Les taxes vont augmenter et la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoit bien cet abonnement de revenus en valeur absolue (traduction : ils comptent bien dessus).

La vente de cigarettes ne « profite » donc pas qu’à la méchante industrie du tabac ?

Le paquet à 15€

D’une part, l’Alliance Contre le Tabac dénonce l’appauvrissement des fumeurs et en particulier des plus démunis, mais d’autre part son président Loïc Josseran appelle encore très récemment à augmenter le paquet jusqu’à 15 €.

C’est ici, publié le 13 décembre 2022 : Hausse du tabagisme en France : « Il faut augmenter de façon franche et massive » le prix du paquet de cigarettes.

Demander à appauvrir plus, en dénonçant l’appauvrissement. Bizarre…

Et vous, de quoi vous prive l’industrie du tabac ?

C’est le slogan de la nouvelle campagne de pub de l’Alliance Contre le tabac. Job très scolaire aussi, avis personnel aussi, et est-on bien sûr que ça marche (voir mon PS en bas) ? Avec 69 paquets de cigarettes, un fumeur pourrait se payer une TV. Avec 16 paquets, une paire de basket, etc…

L’industrie du tabac ?

Il est utile de renvoyer à la lecture d’un des derniers rapports de l’OFDT : Tabagisme et arrêt du tabac en 2021 (c’est un .pdf)

À la page 7, on trouve la décomposition précise du prix d’un paquet de cigarettes à 10€ (C’est l’image qui illustre cet article). Pour faire simple, l’industrie du tabac touche 5,7 % du prix, le buraliste 9,9 % et les taxes représentent le reste, soit 84,4 % du prix d’un paquet.

Donc les 10€ ne vont pas uniquement dans la poche de l’industrie du tabac. Loin de là… Le principal « vendeur » (certains amis disent « dealer »), c’est l’État. Le vrai slogan devrait être : Et vous, de quoi vous privent l’industrie du tabac, les buralistes et (surtout) l’État.

22 milliards de chiffre d’affaires pour l’industrie du tabac ?

Donc non, 22 milliards ce n’est pas le chiffre d’affaires de l’industrie du tabac comme indiqué sur le site Internet de l’Alliance Contre le Tabac.

L’industrie du tabac ne vend pas directement aux consommateurs, elle vend aux buralistes, c’est du « BtoB » et son chiffre d’affaires c’est 5,7 % de 22 milliards (si ce chiffre est bon), donc 1,25 milliards (c’est déjà pas mal pour ces crevards, car oui, moi non plus je ne les aime pas, pour ma vape je ne leur ai jamais donné le moindre cent, je ne consomme pas leurs produits). Sur les 22 milliards, les buralistes prennent 2,2 milliards (9,9 %) et l’État engrange le reste, soit 18,56 milliards. De mémoire, c’est bien ce qu’on retrouve dans la loi de financement de la sécurité sociale…

Pourquoi ne pas dire les choses telles qu’elles sont ?

Quelles solutions ?

L’Alliance Contre le Tabac fait « plaidoyer » et propose deux axes.

Le premier consiste à améliorer l’accès aux substituts nicotiniques. Très bien. Tout ce qui peut aider les fumeurs est bienvenu. Il faudrait juste se (re)mettre d’accord avec une autre association, le CNCT, qui vient de diffuser ses vœux de bonne année « sans tabac et sans nicotine »…

Le deuxième propose un dispositif « innovant » qui vise « à récompenser l’arrêt du tabac par un don sous forme de bon d’achat ou d’espèces ». J’ai personnellement beaucoup de mal avec cette perspective qui a d’ailleurs été expérimentée sur des femmes enceintes. Car qui dit récompense pour l’arrêt, dit absence de récompense si on n’y arrive pas. Et on passe donc en mode punitif, double peine, tu continues à fumer, et en plus tu ne touches rien malgré tes efforts. C’est répugnant.

Dernièrement, l’Alliance Contre le Tabac a fait campagne pour interdire la vente des puffs. Mais ici, ils ne proposent pas l’interdiction de vente de cigarettes ? Ce serait plus simple et efficace non ?

Et le vapotage ?

Les études s’enchainent. Le vapotage est une aide qui est démontrée plus efficace que les substituts nicotiniques. C’est l’outil d’aide le plus populaire chez les français, ça fait des années que Santé Publique France l’a établi. Avec une politique de promotion très active du vapotage, en plus d’autres mesures, la Nouvelle-Zélande a divisé par presque deux son nombre de fumeurs en moins de 10 ans. Tout ça, ce sont des faits. Indiscutables.

Mais du côté de l’Alliance Contre le Tabac, pas un mot sur le vapotage. Vade retro satana ?

Il est utile de préciser ici, qu’avec une « bonne pratique », c’est-à-dire l’usage d’un matériel rechargeable et un taux de nicotine élevé, ça coûte 5 à 10 fois moins cher de vapoter que de fumer. En fin d’année dernière, on a même vu une commune londonienne offrir des cigarettes électroniques aux femmes enceintes justement pour lutter contre la précarité que provoque le tabagisme, à lire ici : À Londres, un conseil municipal va offrir des cigarettes électroniques aux femmes enceintes.

Pas assez de taxes ?

Est-il utile de rappeler qu’à part les 20 % de TVA sur les matériels et les e-liquides, il n’y a aucune autre taxe sur les produits du vapotage ? Si je prends mon exemple personnel, vu ma consommation je dépense maxi 50 € par mois, soit 10 € pour l’état (20 % de TVA). Forcément si je fumais encore (1 paquet par jour), ça serait 25 fois plus = 253 € (84,4 % du prix). J’en aurais presque des remords, mauvais citoyen que je suis !

On a des données en Angleterre, avec un bon accompagnement on peut atteindre plus de 60 % de réussite d’arrêt du tabac avec le vapotage. Wow !

Je rêve d’une campagne de pub pour promouvoir le vapotage comme avait commencé à le faire Santé Publique France en 2016. Mais aujourd’hui ils ne le font plus. Et quand la méchante industrie du tabac tente de faire la promotion du vapotage, des organisations anti-tabac lui font des procès… Allez comprendre.

Mais attention, faire une promotion massive du vapotage, ce serait prendre le risque d’avoir moitié moins de fumeurs d’un coup. Il faudrait se préparer à un trou soudain de 10 milliards d’€ pour le financement de la sécu… Ça risque d’être compliqué. Forcément.

Je rêve aussi d’une politique de lutte anti-tabac en France qui écoute toutes les obédiences. Par exemple, ça fait 6 ans que l’association SOVAPE réclame sa participation au Plan National de Lutte contre le Tabagisme (PNLT). 6 ans qu’on lui refuse. Je me demande pourquoi…

PS : la première fois que j’ai tenté d’arrêter de fumer, j’ai fait le calcul de mes économies sur un an. Et je me suis acheté une batterie le 3e jour. Trois semaines plus tard, je recommençais à fumer. J’ai gardé la batterie. J’ai continué à fumer pendant 6 ans avant de tomber par hasard sur la cigarette électronique. J’ai « testé cette connerie », j’ai arrêté immédiatement, sans aucune souffrance. C’était le 3 mai 2013.