Le Docteur Philippe GRUNBERG passe sa vie de médecin au contact de ses patients, près de 40 ans d’expérience, il n’a donc pas attendu la vape pour les aider. Interview.

J’ai rencontré Philippe sur Tweeter. Je l’ai contacté après l’avoir vu de temps en temps se manifester sur la vape, pour s’intéresser, s’étonner ou s’agacer. Il m’a répondu très rapidement, on se tutoie direct, on est content de se parler. Philippe est vraiment un médecin de terrain, ce qui le guide absolument c’est le bien de ses patients. Être au contact, c’est écouter. Écouter, c’est mieux aider. Je suis vraiment ravi d’ouvrir les colonnes de VAPYOU pour remonter le point de vue sur la vape d’un médecin de terrain.

Bonjour Philippe ! Tu es médecin généraliste, mais encore ?

Dr. Philippe GRUNBERG : Tout d’abord, je précise que j’ai 67 ans et que je ne prends toujours pas ma retraite. Je consulte quotidiennement et je suis très actif auprès de mes confrères généralistes. Ça fait de longues années que j’ai compris qu’on ne peut pas s’occuper de la santé des patients sans s’intéresser à leurs addictions, alcool, tabac, drogues. J’ai parcouru différentes structures, Réseau Ville-hôpital toxicomanie en 1996, ECIMUD Pité-Salpêtrière avec le Dr Yves Edel, où j’assurais une consultation de tabacologie en maternité, puis ELSA de Montfermeil pour diriger ensuite le CSAPA de l’hôpital de Montfermeil.

Tu t’impliques également auprès de tes confrères ?

P.G. : Je suis président du Collège des généralistes enseignants de la faculté de Bobigny, je travaille avec le Centre de ressources pour mini-réseau de proximité*, je suis impliqué dans la CPTS de Gagny, une réunion des professionnels de santé d’un territoire pour améliorer la santé de la population, répondre aux urgences dans la journée et aider à trouver un médecin traitant. Bref je suis généraliste !

* www.coursierssanitairesetsociaux.com

Tu as l’air de prendre très à cœur le rôle du généraliste dans les addictions !

P.G. : Oui, alcool, tabac, drogues, le médecin généraliste est en première ligne. Je milite pour une implication plus nette des médecins traitants dans la prise en charge des addictions. Les addictologues ne sont pas assez nombreux pour s’occuper des problèmes d’alcool et de tabac qui sont les deux facteurs de risques de morbidité évitable et de mortalité prématurée les plus importants en France. 95% de la population consulte un médecin généraliste, si chacun d’entre eux fait un petit peu, on peut changer les choses.

Un exemple simple, le conseil minimal tabac : on a montré que si chaque médecin demande annuellement à tous ses patients, en notant la réponse dans le dossier, « êtes-vous fumeur ? Avez-vous envie d’arrêter de fumer ? », on constate 2% d’arrêt du tabac à 6 mois chez les fumeurs. C’est à la suite de cette étude que j’ai commencé à m’intéresser à comment les aider lorsqu’ils me répondaient : « Oui docteur, j’aimerais bien ! Pouvez-vous m’aider ? »

Mais 2 %, c’est faible ?

P.G. : Sur une population de 13 millions de fumeurs, cela fait 130 000 et cela tous les ans, juste en posant la question. Si l’on ajoute les conseils appropriés pour ceux qui répondent oui, cela fait beaucoup plus. Considérons 100 fumeurs. 10 viennent consulter pour arrêter. Le taux de réussite à 6 mois, en général, quel que soit la méthode, est d’environ 20%. Cela fait 2 sevrages réussis à l’aide de consultations dédiées au problème.

Mais si l’on propose le conseil minimal aux 100 fumeurs, cela fait également 2 sevrages réussis (2%) sans avoir rien fait d’autre que poser une question. C’est bien sûr très théorique mais cela montre qu’il n’en faut pas forcément beaucoup pour changer les choses. Si, en plus, on propose une méthode simple à ceux qui répondent oui, et qu’on ait un peu plus de réussite, disons 5%, cela ferait 5 sevrages réussis, donc 3 de plus.

En partant de cette hypothèse, j’ai proposé à mes patients du CSAPA qui consultaient pour un autre problème que le tabac (et donc pas du tout demandeurs de sevrage) d’essayer un patch de nicotine distribué gratuitement sur place. Après 6 mois, sur 100 patients qui avaient accepté, à ma grande surprise, 20 avait complètement arrêté de fumer, et le nombre moyen de cigarettes fumées des autres était divisé par deux.

C’est très pragmatique !

P.G. : Oui, et la conclusion de tout ça est qu’il faut aller au-devant des demandes des patients. Qui d’autre que le généraliste peut le faire ?

Tu conseilles quoi à tes patients ?

P.G. : S’ils sont intéressés par ma proposition de les aider, je vais prendre beaucoup de temps pour les questionner, les écouter et répondre à leurs questions. Le premier contact est très important. Il s’agit de savoir si on va pouvoir faire le chemin ensemble.

La première partie est une évaluation. Quelle est leur histoire avec le tabac ? Les tentatives d’arrêt, les succès et les échecs ? Je n’utilise pas forcément le fameux test de Fagerström, car on peut être très dépendant de deux cigarettes par jour et il n’explore pas la dépendance au geste. J’interroge sur les autres addictions, passées ou actuelles, en particulier l’alcool et le cannabis. Je vais aussi évaluer les problèmes d’anxiété ou de dépression, et l’état de leurs relations sociales : Travail ? Famille ? Amis ? Fumeurs ou non ? Et bien sûr les problèmes médicaux, en lien ou pas avec le tabac. S’ils ont un autre médecin traitant, alors je lui écris pour lui faire part de ma démarche et l’inviter à poursuivre avec son patient.

J’utilise certains outils comme la balance motivationnelle qu’ils peuvent remplir seuls chez eux ou lors de la consultation, et un CO testeur qui vise surtout à matérialiser la dépendance et visualiser l’amélioration des chiffres au cours du suivi. De cette évaluation découlera mon action, ou plutôt, notre action, car nous décidons ensemble ce qui parait le mieux et quels objectifs sont atteignables. Très souvent, mais pas toujours, cela débouche sur une prescription de patchs nicotiniques sans fixer d’objectif d’arrêt mais simplement pour constater la réduction du nombre de cigarettes fumées.

Il y a plusieurs outils de substitution nicotinique. Les patchs, les gommes, les pastilles, les sprays. S’ils en ont utilisé avec succès, ils peuvent continuer, et on peut même les associer si besoin, à condition de bien les utiliser. Combler le besoin de nicotine est efficace lorsqu’on en est dépendant. Le danger n’est pas la nicotine qui n’est pas un produit toxique, mais les goudrons et le monoxyde de carbone contenus dans la fumée. Le risque d’overdose mortelle n’existe pas. Tout au plus lorsqu’on est surdosé, un malaise, des nausées et un mal de tête que les fumeurs connaissent bien lorsqu’ils ont trop fumé à une soirée. Le mythe de l’infarctus lorsqu’on fume avec un patch est probablement entretenu par des gens qui n’ont pas intérêt à ce que ça marche. C’est une des principales raisons de l’échec des patchs. D’ailleurs, quand on reprend toutes les outils essayés par les gens qui ont « tout essayé et chez moi rien ne marche ! », on retrouve très souvent des erreurs d’utilisation. Je les corrige une par une en proposant de recommencer.

Mon maitre en matière de tabacologie, le Pr Robert Molimard disait « il n’y a qu’une méthode qui marche c’est quand on en a marre ». Quand on m’interroge sur les différentes méthodes, je réponds : « Quand on en a envie, toutes les méthodes, même les plus loufoques, marchent. Quand on n’en a pas envie, aucune méthode, même la plus éprouvée, ne marche. »

Mon travail consiste parfois à simplement accompagner les gens dans leur envie.

Et la vape alors ?

P.G. : C’est pour moi un outil essentiel. En effet, quand on parle d’arrêter le tabac c’est rare que l’on évoque le plaisir qui y est associé : on fume quand on a bien mangé, bien travaillé, quand on a fait l’amour, quand on est avec des amis, pendant les pauses, quand on veut se détendre. Si la nicotine est relativement facile à substituer, cette notion d’abandon du plaisir est beaucoup plus difficile à négocier.

Il faut bien la remplacer par quelque chose. L’alcool : mauvaise pioche ! La nourriture, pourquoi pas, mais si c’est pour prendre 20 kg ! Le sport : très bien, mais il faut du temps, et parfois de l’argent. La vape est le complément idéal. Elle peut même être utilisée seule.

Elle doit être achetée dans une boutique spécialisée avec un vendeur qui est capable de prendre du temps pour en expliquer le principe, les différents réglages, les différents dosages, et faire tester les arômes. Les vapos (je préfère le terme vapo à cigarette électronique qui évoque trop la cigarette et vaporisateur personnel c’est trop long, vaporette ou vapoteuse je sais jamais lequel employer) qui sont vendues dans les débits de tabacs ne servent qu’à faire rentrer les gens et les exposer à la vue de tous ces paquets qui restent bien en évidence. Chacun son métier, on ne peut pas demander à des gens qui vendent des cigarettes de vendre en même temps le produit qui les fera arrêter.

Que penses-tu du dernier avis du Haut Conseil pour la Santé Publique sur le vapotage qui enjoint les médecins à ne pas recommander le vapotage à leurs patients et à le proscrire totalement pour les femmes enceintes fumeuses ?

P.G. : Je ne le comprends pas. Il alerte sur un prétendu danger de la vape, en arguant que l’on n’a pas de preuve scientifiquement démontrée de son innocuité. On a quand même 15 ans de recul sur son emploi et les pays qui en font la promotion (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande) ont moins de fumeurs. Il déconseille son utilisation chez la femme enceinte qui ne fume plus au risque de mettre le sevrage en échec alors que le danger du tabac est lui largement et clairement prouvé.

Cet avis va à l’encontre de tous mes confrères quelque peu impliqués dans la prise en charge du tabac. Il complique mon travail car, en plus de passer du temps à expliquer le rapport bénéfices / risques du changement de comportement, je dois démonter toutes les fakenews concernant la vape : les batteries qui explosent dans la poche, les morts dues au vapotage d’huile de cannabis aux USA et maintenant, les avis gouvernementaux.

Je me pose vraiment la question des experts qui ont conduit à cette décision.

J’en profite pour signaler que mes liens d’intérêt peuvent être consultés et que je n’en ai pas avec des entreprises vendant des produits de substitution nicotinique ou des produits de vapotage.

BONUS

Téléchargez la Feuille de motivation tabac du Dr GRUNBERG.

Principes simples :

  • de 0 à 5 : il faut d’abord travailler la motivation
  • de 5 à 10 : on explore les outils d’aide
  • en cas de rechute : on relit la feuille

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