Est-ce que Elisabeth BORNE est vraiment hors la loi lorsqu’elle vapote à l’Assemblée Nationale ?

C’est le buzz des derniers jours, alors que la première ministre entame son premier marathon à l’assemblée nationale pour la loi sur le pouvoir d’achat, elle s’est fait gaulée plusieurs fois en train de vapoter sur le banc des ministres. Certains députés s’en sont offusqués sur Tweeter, et ça a été repris par quelques médias, dont Libération avec cet article : CheckNews – Non, Elisabeth Borne n’a (toujours) pas le droit de vapoter dans l’hémicycle.

Faisons simple. Rappelons la loi.

Décret n° 2017-633 du 25 avril 2017 relatif aux conditions d’application de l’interdiction de vapoter dans certains lieux à usage collectif

« Art. R. 3513-2.-Les lieux de travail soumis à l’interdiction de vapoter en application du 3° de l’article L. 3513-6 du présent code s’entendent des locaux recevant des postes de travail situés ou non dans les bâtiments de l’établissement, fermés et couverts, et affectés à un usage collectif, à l’exception des locaux qui accueillent du public. »

L’Assemblé Nationale accueille du public, c’est le principe même, fondateur en démocratie, les séances ne se déroulent pas à huit clot, elles sont TOUTES publiques. Il y a d’ailleurs peu de places dans les coursives au-dessus de l’hémicycle, il faut s’y prendre à l’avance pour assister aux débats.

A moins qu’un règlement intérieur impose (et justifie) une interdiction de vapoter, avec une signalisation conforme (c-à-d pas les panneaux illégaux qui assimilent le vapotage à la fumée), alors peut-être que Elisabeth BORNE contrevient à ce règlement. J’ai contacté Libération pour savoir si l’équipe de Check News avait mis la main sur ce règlement, pour l’instant la seule réponse n’est pas très claire. Les services du Sénat et de l’Assemblée confirmeraient l’interdiction de vapoter mais en se référent au code de la santé publique… obsolète (celui cité dans l’article en tout cas et qui est justement supplanté par le décret de 2017).

Donc, si on ne s’en tient qu’à la loi, précisée / ajustée par le décret cité ci-dessus (lien ci-dessous), Elisabeth BORNE n’est pas hors-la-loi lorsqu’elle vapote à l’Assemblée Nationale.

Décret n° 2017-633 du 25 avril 2017 relatif aux conditions d’application de l’interdiction de vapoter dans certains lieux à usage collectif

Pourquoi ce décret sur le vapotage dans les lieux à usage collectif ?

En 2016, la loi de santé établit des règles pour le vapotage dans les lieux publics. Il y a eu des débats, et ça a finit par faire très simple : pareil que la clope, mêmes interdictions. Mais… au moment d’appliquer la loi, l’administration s’est rendu compte que ça pouvait être tendu par rapport un avis rendu par le Conseil d’État deux ans plus tôt en 2014. En clair que la loi pourrait être non-conforme, ou du moins fragilisée, et donc attaquable à cause de cette histoire de vapotage qui va beaucoup trop loin avec des interdictions excessives. Et c’est toute la loi qui aurait pu faire patatra. Du coup, le décret d’application de 2017 (celui cité ci-dessus) a été écrit justement pour rentrer dans les clous par rapport à l’avis du Conseil d’État. Le groupe de travail Vapotage qui se déroulait chaque trimestre à l’époque à la Direction Générale de la Santé avait même été consulté par le Pr. Benoit VALLET, les associations avaient pu donner leur avis. C’était un temps où la société civile avait droit de cité. Ce groupe a été dissous sans sommation et sans même prévenir personne à l’arrivée du premier gouvernement Macron (Agnès BUZYN). Le ministre de la santé suivant Olivier VÉRAN, connu pour avoir arrêté de fumer avec le vapotage, n’a pas jugé utile non plus de le réactiver, malgré ses déclarations au Sommet de la Vape en 2019 (vidéo 10 min ici).

Cette histoire d’Elisabeth BORNE qui vape à l’Assemblée Nationale m’a conduit à faire quelques recherches sur tout ça pour me rafraîchir la mémoire. Depuis des années, que ce soient des associations ou des médias spécialisés, on consigne tout, on retrouve tout. Si un jour on devait repartir devant le Conseil d’État, on a des pièces à fournir !

En marche arrière ?

Je profite donc de ce petit article pour ressortir et relire cet avis du Conseil d’État délibéré fin 2013 et publié début 2014. Parce qu’en le relisant, je suis effaré de l’incroyable retour en arrière que nous sommes en train de vivre. Il y a deux jours, je validais en interne avec mes amis de SOVAPE notre contribution à la Commission Européenne concernant la mise à jour de sa recommandation sur les environnements sans tabac et qui laisse soupçonner de nouvelles restrictions totalement disproportionnées et non justifiées. Voir ici la contribution de SOVAPE, et ici l’excellente contribution de l’AIDUCE.

Pourtant en 2013, avec 10 ans de recul en moins (on a désormais de nombreuses études largement rassurantes), voilà ce que disait déjà le Conseil d’État, saisi par le premier ministre de l’époque, je pense Jean-Marc AYRAULT. Je choisis quelques extraits marquants dans les conclusions, mais l’ensemble du document est très intéressant à lire, il se trouve ici : Avis N° 387797_131017 relatif à l’interdiction de l’utilisation de la cigarette électronique dans les lieux à usage collectif.

a) Sur le fondement de l’atteinte directe à la santé publique

Extrait §18 p.8 – Si l’OMS et l’OFT recommandent un encadrement strict de l’usage de la cigarette électronique en raison des risques indéterminés qu’elle induirait et de l’absence de preuve de l’innocuité d’un tel produit, cette indétermination ne constitue pas un motif suffisant, au plan juridique, pour justifier une restriction de la liberté personnelle aussi large que celle qui résulte de l’article L. 3511-7 du code de la santé publique et des textes pris pour son application ou à sa suite.

b) Sur le fondement de l’atteinte indirecte à la santé publique

Extrait §20 p.8 – Deux arguments conduisent à répondre par la négative à cette question. En premier lieu, il n’existe à ce jour aucune étude démontrant que l’usage de la cigarette électronique banalise la consommation de tabac, fragilise l’interdiction de fumer ou qu’une telle consommation constituerait, pour une part significative de la population, la première marche vers le tabagisme. En second lieu, il est délicat de considérer que le fait de « vapoter » incite à consommer du tabac en raison du lien indirect, voire de l’antinomie entre ces deux produits. Si la cigarette électronique entend pasticher la cigarette, elle s’en détache fortement en raison de sa faible toxicité pour l’usager qui constitue d’ailleurs son principal atout commercial. Il serait en outre pour le moins paradoxal d’interdire à toute la population et dans tous les lieux collectifs et fermés l’usage de la cigarette électronique sur le fondement de son caractère incitatif à consommer du tabac, alors que de nombreux usagers l’utilisent, à tort ou à raison, non pour s’en rapprocher mais, au contraire, pour s’en détacher.

c) Sur le fondement du risque de trouble à l’ordre public

Extrait §21 p.9 – Ainsi, à l’instar des nuisances sonores que peut provoquer un téléphone portable, la gêne que pourrait occasionner l’usage de la cigarette électronique dans l’ensemble des lieux publics couverts et fermés ne permet pas, à elle seule, de justifier une atteinte générale à cette liberté.

Extrait §22 – p.10 – . Le Conseil d’État fait, en outre, observer que les sanctions pénales réprimant l’interdiction de fumer dans les lieux publics, seraient, en tout état de cause, en cas d’extension de cette législation à l’usage de la cigarette électronique, disproportionnées.

Extrait §23 – p.10 – Cependant, le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité, en application de l’impératif de prévention des risques susrappelé, de poursuivre les études et évaluations relatives aux effets de la cigarette électronique en maintenant une vigilance constante et de veiller à la qualité des produits qui circulent sur le marché en assurant une surveillance et des contrôles rigoureux. Il appartiendra au Gouvernement, en fonction de ces travaux, de réévaluer l’existence d’un risque lié à l’usage de ces produits et de prendre, le cas échéant, les mesures appropriées.

Sur les lieux collectifs

§33 p.12 – Concernant les autres lieux à usage collectif (cafés, restaurants, établissements de loisirs), une interdiction générale paraît, en l’état des connaissances scientifiques, disproportionnée. Cependant, si un risque de confusion apparaissait entre la cigarette électronique et la cigarette traditionnelle, de sorte que le respect de l’interdiction de fumer dans ces lieux serait compromis, il appartiendrait au Gouvernement de prendre, au titre de la réglementation du produit, les mesures nécessaires pour éviter tout risque de confusion de la cigarette électronique avec la cigarette traditionnelle.

§34 – p.13 – Le Conseil d’État, qui considère qu’il est loisible au législateur d’apporter des restrictions à la liberté de « vapoter » sans que toutefois, en l’état des données scientifiques disponibles, cette interdiction ne puisse être aussi générale que celle qui s’applique à la cigarette traditionnelle, réitère son observation (cf. § 23) que le présent avis est rendu dans un contexte incertain quant à l’évaluation scientifique des effets de la cigarette électronique. Cet avis tire les conséquences juridiques de cette incertitude et s’accompagne de la recommandation de poursuivre les évaluations relatives à ce produit en maintenant une vigilance constante et de veiller à la qualité des produits mis sur le marché en exerçant une surveillance et des contrôles rigoureux.

Pragmatisme, lucidité. En 2013 déjà, le Conseil d’État nous disait quelque chose de très simple : Non, la fumée et la vapeur, c’est pas pareil, et ça ne pourra jamais être considéré comme étant pareil. Vaper n’est pas fumer, ni pour soi-même ni pour les autres.

En marche avant ?

Cette histoire de la première ministre Elisabeth BORNE qui vapote à l’Assemblée Nationale est franchement agaçante, car encore une fois, et on le voit dans les médias, on ne parle de la vape que sous un angle négatif. Tous les jours je tombe sur des info ou des études positives, et jamais je ne vois passer un article qui loue les bienfaits du vapotage pour la santé publique. L’orientation négative des médias, de certains anti-tabac extrémistes et le silence coupable des pouvoirs publics sont stupéfiants.

C’est marrant parce que Elisabeth BORNE utilise le même matériel que moi. C’est discret, et ça permet une vape très serrée. Pour ma part, je l’utilise au bureau et en déplacements avec un très fort taux de nicotine (jusqu’à 40) pour justement vaper moins souvent, et éviter voire supprimer tout rejet de vapeur (train, avion, réunions…)

Si j’étais à la place d’Elisabeth BORNE, je serais vraiment ennuyé. Si Macron lui demande d’arrêter de vapoter à l’Assemblée Nationale pour « calmer » les esprits, c’est un enfer pour elle. Devoir passer des heures sans vapoter. Ou devoir utiliser des substituts nicotiniques alors qu’apparemment ce n’est pas SON choix.

Elle pourrait faire une déclaration, et en même temps, rendre service aux fumeurs. Proposition :

« En tant que première ministre, je me dois d’être exemplaire et jamais je ne ferais quoi que ce soit hors la loi. Comme il s’agit d’un lieu à usage collectif MAIS qui reçoit du public, il n’est pas interdit de vapoter à l’Assemblée Nationale. De plus, comme je me dois d’être exemplaire, je vapote discrètement sans relâcher aucune vapeur, grâce à mon tout petit matériel et mon taux de nicotine élevé, mes bouffées sont espacées et je n’importune personne avec le bruit et l’odeur. Je conseille d’ailleurs à tous les fumeurs de France d’essayer le vapotage pour tenter d’arrêter de fumer, c’est une solution qui a été efficace pour moi, et d’après Santé Publique France, efficace pour des centaines de milliers de fumeurs. J’en profite pour faire une nouvelle proposition de loi afin d’aider le pouvoir d’achat des français. Grâce aux 3 milliards d’€ supplémentaires qui sont collectés chaque année sur le dos des fumeurs (constitués en majeure partie par les populations les plus démunies), nous allons offrir un bon d’achat de 150 € pour un premier kit de vapotage à chaque fumeur français. Non seulement, c’est une façon de leur rendre un peu de leur argent, mais en plus, s’ils arrivent à arrêter de fumer, ce sont plusieurs milliers d’€ qu’ils économiseront chaque année et pour toute leur vie, en plus de préserver leur santé évidemment ».

PS : Je ne crois pas que parmi les milliers d’amendements sur la loi pouvoir d’achat, il y en ait un seul qui traite de la spoliation des fumeurs par les taxes. Pour rappel, en Suède, il y moins de 5 % de fumeurs et le paquet de cigarettes ne vaut même pas 6€… La soi-disant « seule mesure efficace » pour réduire le tabagisme a franchement du plomb dans l’aile si on prend le temps de regarder ce qui se passe ailleurs (même si je sais que ce n’est pas très « français » d’envisager que les autres pourraient être meilleurs que nous).

PS pour CHARLIE HEBDO

Charlie Hebdo vapotage et Elisabeth BorneJ’ai créé le magazine VAPYOU en 2015. C’est l’histoire de Charlie Hebdo qui m’a inspiré l’idée, le ton, le format.

Ça me chagrine d’y voir un dessinateur confondre vapeur et fumée. Participer à l’amalgame, renforcer cette confusion qui cause des dégâts considérables, ceux du tabagisme qu’elle contribue à maintenir.

Ce qui m’attriste encore plus, c’est qu’il ne s’en rend même pas compte. On a atteint un tel niveau de désinformation, que les fake news deviennent la vérité, sans même plus se poser de question.

C’est vraiment inquiétant. Pour la vape. Et pour tout le reste.

 

 

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