Tabac chauffé, vapotage, ça fait plusieurs fois que certaines associations anti-tabac trainent en justice les industriels du tabac, et ils gagnent. Est-ce une bonne chose pour la lutte contre le tabagisme ?
La semaine dernière les associations DNF et CNCT ont à nouveau fait condamner en justice un industriel du tabac pour avoir « fait la pub » de son dispositif de tabac chauffé. Dans le cadre de ma veille sur la lutte contre le tabagisme, j’ai partagé cette news sur la page Facebook en proposant un lien sur un article de Liberation inspiré par une dépêche AFP : Tabac chauffé : Philip Morris condamné pour avoir fait la pub d’un calumet électronique en France. J’ai commenté mon partage ainsi : « Pour les anti-tabac il ne faut surtout pas que les fumeurs soient informés de l’existence de produits moins toxiques (selon l’Institut Pasteur). Même si le tabac chauffé n’est pas la panacée, et reste beaucoup plus toxique que la vape, il vaut mieux ça que la clope fumée. L’éthique de ces associations me débecte. »
Comme souvent, Claude BAMBERGER, président de l’AIDUCE, a également commenté : « La belle stratégie, quelques intégristes délirants pavent une jurisprudence délirante qui interdit de faire savoir qu’on peut réduire les risques (au point que les copieurs-colleurs du « 4e pouvoir » répètent la propagande intégriste), et ainsi enterrent toute concurrence à l’industrie des vraies clopes. Interdit de faire la publicité d’un dispositif, mais ok pour les briquets, interdit de faire savoir qu’il y a une réduction sur du e-liquide, interdit de faire savoir qu’il y a moins nocif… Et tout ça protège l’autre biz de Philip Morris, celui que les plaignants prétendent faire disparaître, mais entièrement hors de la responsabilité du cigarettier. Quand on tend un piège à cons, la chasse est ouverte et ça fonctionne parfaitement. »
Intrigué par ses propos, j’ai demandé à Claude s’il voulait bien développer dans le cadre d’une interview. Il a accepté de répondre à mes questions. Merci !
Toxicité et nocivité relative : cigarettes fumées, tabac chauffé, vapotage. Que sait-on exactement ?
Claude BAMBERGER : les cigarettes actuelles sont probablement le moyen de consommer de la nicotine qui a la plus forte nocivité chronique, et en terme produit la plus aboutie sélection imaginable.
On sait depuis plus de 20 ans que chauffer à température contrôlée est moins nocif que brûler, c’est le sens même des vaporisateurs pour délivrer du cannabis (ça non plus on n’a pas le droit de le dire, laissons les gens fumer leur cannabis avec du tabac en plus).
Même s’il y a une part de cancérigènes dans 100% des cigarettes de tabac (quoiqu’en dise l’ANSES dans sa conférence de presse de 2020) et sans doute dans les “sticks”, c’est une part considérablement moindre que celle présente dans la fumée. Même si un chercheur Suisse a démontré que certaines clopes étaient moins émettrices de toxiques, le tabac chauffé (même celui-ci chauffé un peu “haut” selon certains standards) reste loin en-dessous. Et la dose faisant le poison, même en exposition chronique, diviser par ~10 et plus les composés nocifs à apport de nicotine constant aboutit à une exposition moindre et donc une nocivité moindre.
Mais comment mesurer ce différentiel pour parler de nocivité ? De quel différentiel parle-t-on ? Parce que les études, multiples et indépendantes mesurent bien la quantité de chaque composé (ce qui donne ces chiffres*). Mais la nocivité est liée à la différence entre les seuils sanitaires et ce qu’on mesure, pas une valeur absolue.
Tout ça pour parler de la vape parce que dans les études depuis plus de 10 ans et trop nombreuses pour les citer en plus des dizaines de milliers de notifications qui comportent ces données, on se retrouvait dans la zone à 5% il y a 10 ans, 1%, voire moins maintenant dans la plupart des cas de produits correctement fabriqués et consommés. En absolu. Donc sous les seuils d’exposition aux mêmes composés entre une journée de vape raisonnable et une journée à respirer devant la TV ou en allant au bureau en train…
Ce que l’on sait c’est que le tabac chauffé c’est une réduction importante des risques, sans doute un peu au-dessus du tabac oral générique (quasiment interdit en France), et que la vape c’est une façon de plus de ne plus fumer du tout, comme le snus suédois, comme les “pouches” de nicotine, comme les substituts**, et comme les bonbons Suisses (sans sucre si possible).
* cf. Pasteur, Farsalinos, Auer, le fabriquant qui règlementairement doit produire ces données, l’analyse de la FDA ou des autorités Anglaises ou Allemandes… on en sait moins sur la pizza SelectTruc ou le parfum d’intérieur BrizMachin auxquels on s’expose régulièrement
** ces derniers suivant un processus qualité pharmaceutique un peu particulier et un peu déplacé car le processus en question, très rigoureux, est adapté à la fabrication de produits contenant des substances actives très sensibles et des poisons dont il faut consommer une quantité très précise pour attaquer la maladie ou ajuster le fonctionnement de l’organisme mais surtout pas trop, alors que là c’est auto-titré par l’ex-fumeur.
D’un point de vue éthique, faut-il faire savoir aux fumeurs toutes ces différences entre les produits ?
C. B. : Sans même aller à parler d’éthique, informer les consommateurs des risques associés à la consommation des différents produits sur le marché, avec sincérité et l’attention des proportions (nature des dangers, taille d’effet concernant le risque, proportion entre les risques de la vie courante) est la mission même des autorités (sanitaires ici), et des fabricants/commerçants. Mentir au consommateur (en exagérant le risque ou en le minimisant) est du même ordre que l’escroquerie, et mentir au citoyen de l’ordre du charlatanisme.
Bien sûr une difficulté est que dans l’“univers” tabac les uns ont minimisé voire caché ces risques pendant des années jusqu’à ce qu’ils soient obligés de les afficher, du coup un peu en gros et sans nuances (“fumer tue”, ce n’est pas faux mais c’est un peu plus compliqué comme tous les risques chroniques) et les autres ont pris l’habitude d’y aller sans nuances, voire avec les années et le peu d’efficacité de leurs actions à se tourner vers le marketing (en l’occurence le contre-marketing, dommage parce que justement le marketing concurrent aurait sans doute été plus efficace, en tout cas c’est ce qu’enseignent les écoles de commerce, moins d’effets délétères et plus de succès).
Plus généralement, en ces temps de pertes de repères sur les risques sanitaires, de manipulations multiples des rassuristes et effrayeurs sur tous les sujets du quotidien, de la pollution, où les gens se perdent entre les différents composés, il est indispensable de revenir à la transparence, à la clarté des messages mais aussi à la franchise. Sinon il n’y a pas que la réduction des méfaits du tabac fumé qui sera perdu comme combat pour l’amélioration de la santé.
Pourquoi dis-tu que les actions en justice du CNCT et de DNF protègent finalement le business des cigarettes combustibles ?
C. B. : je dis plutôt qu’ils tombent dans un vieux piège. Piège qu’ils ont contribué à tendre par des règlementations par trop binaires, prohibitionnistes. La publicité pour les cigarettes fumées est interdite, c’est logique, mais le produit est tellement installé que l’effet de dominance reste des décennies. Mais en réaction aux logiques tentatives d’évasion des fabricants de cigarettes de tabac, cigares, pipes, les interdictions ont “absorbé” tout ce qui est tabac. Et vape. Et substituts (car remboursés).
Du coup si au lieu de “lutter contre”, des acteurs “luttent pour une alternative”, c’est interdit. Contre-marketing (contre quoi du coup ? Contre les fumeurs ?) mais pas de marketing concurrent. Et assoir, étendre ce règlementaire à tous les interstices, c’est museler le marketing concurrent des cigarettes fumées… donc ne laisser que l’effet de dominance.
Au final les cigaretiers sont dans la position de celui qui tient le nœud du piège, ils promeuvent avec toutes les précautions et sans grandes dépenses un produit alternatif, le beau rôle, au mieux ça passe et ils gagnent un peu de place (parce qu’ils voudraient vraiment vendre des produits moins nocifs et qui rapportent plus, c’est le bon sens et le b.a.ba du commerce), au pire ils perdent mais font aussi perdre tous les concurrents bien réels de leur autre business. Et ça de la main des autorités. Le beau rôle sur un plateau, la protection du dealer assurée.
Parce que les pièges à collet sont des classiques nous avions proposé au sommet de la vape que la publicité pour les produits du vapotage soit autorisée, mais qu’elle soit contrôlée concernant les marques aussi fabricants de tabac fumé pour empêcher qu’ils utilisent un vecteur pour faire la publicité des autres produits à leur catalogue…
Est-ce que le législateur prend des risques à maintenir des réglementations qui interdisent l’information aux fumeurs ?
C. B. : Il prend le premier risque d’être le protecteur du marché, même si le juge est indépendant, le législateur/l’exécutif lui se sert des taxes tabac pour boucler ses budgets plus souvent qu’un gamin ne pioche dans le pot de miel (cf. Gérald Darmanin et Emmanuel Macron justifiant devant la Commission Européenne l’arrêt de l’ISF par la hausse des taxes tabac ; cf. Gérald Darmanin signant une demande du Conseil de l’Europe à la Commission Européenne de faire cesser la baisse des revenus fiscaux du tabac que les alternatives, tabac chauffé, vape, nicotine, causent depuis quelques années ; cf. Gérald Darmanin en commission parlementaire demandant d’étaler la 3e hausse “Buzyn” de 1€ des cigarettes en deux hausses de moitié prouvées sans effet sur la prévalence… tiens les hausses qui ont eu lieu en 2020, année de la fin de la baisse de la prévalence malgré la fermeture des frontières pendant plusieurs mois).
Et puis il y a ce problème de conflit entre missions régaliennes d’information des citoyens, de promotion des choix favorisant la réduction des risques de santé, et ce qui est devenu une censure sans plus aucun fondement ni proportionnalité.
Je crois savoir que l’AIDUCE a également mené des actions en justice notamment sur la question du vapotage dans les lieux publics, qu’en est-il exactement ?
C. B. : Nous avons effectivement poursuivi devant le tribunal administratif les préfets, ceux des départements de banlieue et un en province, qui avaient publié des arrêté interdisant de vapoter dans certains espaces publics, en l’occurence des gares. Où l’on réalise en citoyen que les représentants de l’Etat passent des textes contraires à la loi, contraires même dans ce cas à leur domaine d’intervention. Mais c’est au citoyen de payer la leçon de droit, les frais d’avocat n’étant pas minimes, et chacun des préfets ayant retiré son arrêté (le premier immédiatement avec un mot d’information, les derniers après l’intégralité du délai légal avant jugement soit plus d’un an et sans un mot). Aucune administration n’a d’ailleurs fait l’effort de contrôler que les textes déjà excessifs n’étaient pas l’objet d’abus (dans le cas de la SNCF des menaces pour obtenir des paiements indus d’usagers parfaitement dans leur droit, dans le cas de fabricants d’affiches des publicités mensongères pour “placer” leur marchandise dont certaines illégales, et dans certaines entreprises des règlements fantaisistes et parfois des menaces).