C’est avec une immense tristesse que nous avons appris hier le décès de Jean-Yves NAU, le seul journaliste qui s’intéressait vraiment au phénomène du vapotage.
Je n’ai rencontré Jean-Yves NAU qu’une seule fois. C’était en 2017, le 20 mars exactement, pour le deuxième Sommet de la vape. J’ai mis un moment à le trouver pour le saluer. Il m’a donné l’impression de vouloir se cacher, recroquevillé sur un petit strapontin sur un côté de la salle, discrétion, humilité. On n’a échangé que quelques mots, comme gêné par mon enthousiasme de le rencontrer, pas plus volubile que dans nos échanges d’emails. Il animait ainsi une petite sphère d’amis, il envoyait un mail, avec un lien, parfois un mot, au-dessus, ou en dessous, pour aiguiller, peut-être, sur son humeur. Parfois aussi, il estimait que l’objet de l’email était suffisant. Et il nous lançait ainsi sur d’interminables conversations, auxquelles il ne participait pas, ou très peu, avec aussi un petit mot, une ponctuation. Il nous lisait, et parfois reprenait les bonnes formules des uns ou des autres dans un article de suite. De temps en temps, il envoyait une info et demandait « Des réactions » ? On savait que c’était pour nourrir un prochain article.
Les torrents de mots et d’émotions, il les réservait à ses articles. Esprit, humour, clairvoyance, il éclairait sur tant de sujets, iconoclaste à souhait, il aimait les citations et rappeler la définition des mots, galvaudés bien sûr, pour rappeler le sens des choses, toujours à propos. Grinçant, grincheux, grivois, qu’est-ce qu’il a dû agacer. Et tant mieux. Et merci ! Voilà les mots de William Lowenstein « Un faux méchant. Un tendre bourru, chiant au possible en apparence, vraie crème à vivre. » Pas besoin d’en rajouter pour comprendre l’immense tristesse que provoque le départ de Jean-Yves NAU dans le cœur de ses amis et de sa famille. Son fils Jean-Clément a publié un dernier message sur le blog Journalisme et Santé Publique, sans commentaire, à lire surtout : Chers lecteurs.
Je raconte parfois à mes amis de longue date combien la vape m’a apporté humainement au-delà du sujet. Une chance inouïe de nouvelles rencontres avec des esprits de haut-vol. De ces personnes qui vous emmènent là où votre regard ne portait pas, à priori. Sans manières, sans condescendance, avec la simplicité qui caractérise les vrais grands. Jean-Yves NAU est de ceux-là, vivant à jamais. Quelle chance de l’avoir côtoyé. Douleur de le perdre. Nécessité de lui rendre hommage.
Je présente mes plus sincères condoléances à sa famille et à ses amis.
Jean-Yves NAU et la vape
Il était le seul journaliste à suivre vraiment le dossier de la vape. Dès 2013, son article Tabac : la « Révolution des volutes »® est en marche donne le ton. S’en suivront des dizaines et des dizaines d’autres.
En 2015, alors qu’on se connaissait à peine, j’ai dû mettre une heure à réfléchir aux trois mots à lui envoyer pour lui demander de participer aux préfaces du livre 1000 messages pour la vape. Il m’a répondu avec ce texte, sans autre commentaire. Accord tacite pour le publier.
Résumons : l’émergence de la cigarette électronique a déclenché une forme de révolution dans le champ de l’addiction. Ces vapeurs d’eau nicotinées nous disent que des esclaves du tabac brisent leurs chaînes. Libération, cette révolution se heurte aussi, par définition, aux pesanteurs des pouvoirs en place. Où l’on voit qu’au-delà des discours officiels la santé publique demeure un combat, y compris dans les espaces démocratiques. La vape est un combat individuel, certes. Mais c’est aussi un combat collectif, sous la bannière de la réduction des risques. De même que les précédentes, de même que les suivantes, cette révolution doit être écrite. Résumons : rien n’est plus beau que la vérité, sinon une libération joliment racontée.
Jean-Yves NAU – Instituteur, docteur en médecine et journaliste
- À retrouver page 11 dans le livre 1000 messages pour la vape en .pdf
- Toute l’histoire du livre
En 2017, toujours en mode communication minimaliste, j’ai dû réfléchir encore un moment pour trouver les trois mots et lui demander d’écrire un édito pour le magazine VAPYOU. Après un oui, on a quand même échangé un peu plus pour valider l’angle et le format. Voilà le texte ci-dessous, qui mérite d’être consigné sur Internet.
Merci Jean-Yves NAU.
Que vos mots puissent être lus et relus, dès demain, et chaque jour qui suit.
Cigarette électronique, une affaire journalistique
Comment, sans jamais avoir fumé, en vient-on à la cigarette électronique ? Pourquoi faire de cet objet baroque un sujet journalistique d’importance ?
Et comment répondre en trois mille signes (« espaces compris ») ?
Bientôt, déjà, quatre ans
S’il fallait une date on retiendrait celle du 31 mai 2013. Marisol Touraine était ministre de la Santé depuis une année. Sous les ors soviétiques de son ministère elle présidait une conférence de presse consacrée à une pénultième « Journée mondiale sans tabac ».
Étions-nous, alors, sous on ne sait quel charme ? « Il faut reconnaître à Marisol Touraine une qualité assez rare à ce niveau de responsabilité : affronter crânement les sujets les moins faciles, écrivions-nous alors.* Depuis trente-trois ans les ministres français de la Santé ne parlent pas du tabac. Ou si peu, si bas, que l’on ne s’en souvient pratiquement pas. Ils s’en désintéressent fort prudemment oubliant régulièrement qu’il s’agit ici de la première cause de mortalité prématurée évitable. »
Puis, soudain, le charme se rompit. L’inconséquence de la ministre, sans doute. Comment accepter l’incohérence radicale entre l’exposé du constat des dégâts sani- taires et le détachement de la ministre à l’énoncé des pauvres mesures sanitaires qu’elle envisageait de prendre.
Ahuri, aussi, devant la confidence ministérielle
Cherchant à comprendre ce qu’était une cigarette électronique, Marisol Touraine en avait fait quérir par ses collaborateurs. Elle leur demanda une démonstration. Et la ministre de la Santé de confier publiquement qu’elle y avait alors vu un objet ressemblant « furieusement » à la cigarette.
Puis ce fut ce jour-là qu’elle dévoila ses batteries : dissuader d’avoir recours à la e-cig avant (plus tard) d’en encadrer strictement l’usage. « On verra ce qu’il en sera dans les semaines, les mois et les années à venir, écrivîmes-nous alors. Qui l’emportera au final de la volonté des vapoteurs et de la frilosité de la puissance publique ? Avec, déjà, une nouvelle question : et si, au fond, la cigarette électronique n’était pas le sujet le plus important ? » On connaît la suite, rythmée par un affrontement croissant entre les acteurs de la « Révolution des volutes » et une majorité de responsables sanitaires aux ordres, tétanisés par l’angoisse d’un début de prise de risques.
Et après ?
Un jour viendra où la vape fera l’objet d’une véritable enquête journalistique, d’un documentaire, d’une série télévisée. On cherchera alors à identifier qui, dans les années 2010, fut à l’origine du refus par les autorités sanitaires françaises d’user au mieux de ce nouveau levier de lutte contre le tabagisme qu’est la cigarette électronique. Une incohérence d’autant plus grande que tout était alors en place, en France pour intégrer ce nouvel usage dans une politique cohérente de réduction des risques addictifs.
* « Cigarette électronique schizophrénique ». 1er juin 2013
Jean-Yves NAU – Instituteur, docteur en médecine et journaliste